mardi 1 juin 2010

Romantisme et pathétique

Il y a de ces mots que des tas de gens utilisent sans en connaître le sens véritable. Ainsi, le mot «romantisme» sert couramment à désigner l’ensemble des rituels plus ou moins convenus régissant les jeux de la séduction et les rapports amoureux : galanterie, bouquets de fleurs, billets doux, chocolats à la St-Valentin, petits soupers à la chandelle en tête-à-tête, promenades main dans la main au clair de lune, bagues de fiançailles (diamant obligatoire), le tout se terminant inévitablement par un beau mariage. Ce qui arrive ensuite n’a aucune espèce d’importance, le film est fini.
Tout ça est bien joli, mais n’a pas grand-chose à voir avec le romantisme dans le vrai sens du terme, lequel n’est pas automatiquement relié à la vie amoureuse, même si c’est souvent le cas. Le romantique est un être passionné, excessif, anticonformiste, qui aime la démesure et le bizarre et qui vit sa vie comme s’il s’agissait d’une œuvre de fiction. Il est fondamentalement individualiste et égocentrique, voire narcissique, même s’il est à l’occasion capable de grands élans d’altruisme et de générosité. Rebelle, il cherche à provoquer, à choquer le bourgeois et, pour cette raison, affecte un certain débraillé dans sa tenue. Par haine du bourgeois, justement, il méprise le plus souvent l’argent et le pouvoir. Mais pas toujours : bâtir un empire peut avoir quelque chose de très romantique. Encore plus lorsque l’empire s’écroule : le romantique aime vivre dangereusement. Il est tourmenté, volontiers suicidaire, généralement tuberculeux (du moins à une certaine époque).
Alors, si vous rêvez d’une relation amoureuse romantique, pensez-y à deux fois.
Un peu dans le même ordre d’idées, il y a un autre mot qu’on emploie très souvent à tort et à travers, ce qui a le don de me taper sur les nerfs. J’en ai même fait une croisade personnelle. Il s’agit du mot «pathétique», qu’on utilise dans le sens anglais de «pathetic», c’est-à-dire pitoyable, lamentable, minable, dérisoire. On le voit fréquemment sur les tribunes d’amateurs de sport, comme par exemple pour qualifier l’ardeur au jeu des frères Kostitsyn. Sauf qu’en français, le mot signifie «bouleversant», «qui suscite une profonde émotion». Rien à voir avec les frères Kostitsyn. Il n’y a pas comme en anglais cette dérive ironique laissant entendre : «c’est tellement nul que c’en est pathétique».

Quel rapport tout cela a-t-il avec «L’Amérique ou le Disparu» ? Pas le moindre, ou si peu. Kafka, bien que tuberculeux, n’est pas précisément un auteur romantique.
Tout de même, le travail avance. Mais je ne veux pas tout montrer sur le blog. Il faut bien que j’en laisse un peu pour l’album ...

2 commentaires:

  1. Question philosophique: qu'est-ce qui vient avant? La définition ou l'usage?

    (mon opinion)
    Le dictionnaire nous présente l'usage habituel des mots dans une communauté linguistique donnée. Par contre, on lui accorde parfois une certaine autorité indépendante de cette pratique langagière commune. On peut se mettre alors à corriger l’usage que nos interlocuteurs font des mots en appuyant sa critique sur la définition du dictionnaire. Par contre, se faisant, on oublie que ces définitions ont comme fondement l’usage de la communauté. D’ailleurs, ce qui arrive habituellement avec le temps, c’est que le dictionnaire s’accorde à la pratique commune en la répertoriant dans ses pages. Une langue vivante ne peut pas être contrainte à respecter les édits du passé.

    Ce que je trouve plus dérangeant, c’est de changer la nature même des mots. Deux exemples tirés de mon quotidiens :

    Une bilatérale.
    J’accepte tentativement.

    Le premier se veut la forme courte d’une rencontre bilatérale. Par contre, ici on transforme un adjectif en nom! Dans le deuxième cas, ce qu’on veut exprimer c’est une acceptation provisoire. C’est une formule calquée de l’anglais (I accept tentatively). Donc, on prend le nom tentative, on change son sens, on le traite comme un adjectif et on le transforme en adverbe en ajout –ment. Bon, peut-être que ça prend quelques règles de base…

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  2. L'usage précède la norme, je veux bien. Mais mon propos était plus d'ordre «littéraire» que purement linguistique. Je ne cherche pas à me donner le rôle de censeur de la langue ou de gardien du bon usage. Seulement, je trouve dommage que certaines notions soient banalisées dans le langage courant. Le romantisme dans le sens original du terme est autrement plus intéressant que le romantisme à l'eau de rose qu'on nous sert de nos jours.

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